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TÉLÉSCOPAGES
Adine Sagalyn & Annik Hémery
Portraits croisés : Photographies et récits.
Là, en attente vise à changer notre regard sur les personnes accueillies dans les centres d'hébergement et d'insertion parisiens.
Invitées par le Refuge de la Mie de Pain (360 personnes), la photographe Adine Sagalyn et la journaliste Annik Hémery
ont croisé, pendant plus d'une année, portraits photographiques et témoignages écrits des hommes accueillis.
Bertrand N. (Cameroun)
"Quand j'ai décidé de partir de Douala il y a deux ans, je savais que je devrais m'accrocher. Je m’étais dit: « Si c'est bon, c'est bon ! Si c'est pas bon, c'est bon aussi ! » Je viens d'un pays riche où règne le chaos
où l’on ne sait jamais si le lendemain sera gai ou sombre. Je n'ai pas hésité sur le choix du pays. C'était la France. J'aime ses valeurs, sa langue. J'étais heureux et affligé en même temps de partir car je laissais, à la charge de ma mère, mes six enfants. Mais je ne m'attendais pas à vivre ce parcours du combattant pour obtenir de simples documents. Après avoir été hébergé par un cousin, je me suis retrouvé à la rue. J'ai vite appris à faire le 115. On te loge quelques jours puis on te relâche. J’ai « gambadé » ainsi pendant six mois. Une nuit, des jeunes m'ont pissé dessus pendant que je dormais dehors. J'étais abasourdi. J’ai cherché un endroit plus sûr. Pendant quelques mois, j’ai vécu dans le parc du Bourget. Je m'y suis fait des amis : un Arabe, un Polonais. Il y avait même une jeune polonaise. Le matin, on faisait les poubelles des supermarchés. Chacun avait sa poubelle attitrée. On se respectait. C'était amusant quand j'y repense !
J'ai fini par avoir une place à la Mie de pain. Quand j'ai été auditionné par une assistance sociale, j'ai pensé que tous mes problèmes allaient être résolus. Mais elle m'a dit : « Mais Monsieur, il faut aller tout dou-ce-ment, étape par étape.» Je suis content d'avoir cette place. Mais je n'ai pas l'habitude d'être servi. J'assume mes responsabilités. À mes enfants (l'aîné a 16 ans, le dernier 6 ans), quand je les reverrai, je leur raconterai tout. Je ne leur cacherai rien. Je tiens à ce qu’ils se responsabilisent eux aussi très vite. Je tiens aussi à ce qu'ils sachent que, même au loin, leur père ne baisse jamais la garde. Je veille toujours à conserver un corps sain et un esprit positif. Face à un problème, si je n’ai pas la solution, je regarde ailleurs. Il y a quelque temps, j’ai acheté une guitare. Comme tous les Africains, je procède par tâtonnements : si c’est bon, c’est bon ! Si ce n’est pas bon, tu continues ! La perfection viendra un jour. "
où l’on ne sait jamais si le lendemain sera gai ou sombre. Je n'ai pas hésité sur le choix du pays. C'était la France. J'aime ses valeurs, sa langue. J'étais heureux et affligé en même temps de partir car je laissais, à la charge de ma mère, mes six enfants. Mais je ne m'attendais pas à vivre ce parcours du combattant pour obtenir de simples documents. Après avoir été hébergé par un cousin, je me suis retrouvé à la rue. J'ai vite appris à faire le 115. On te loge quelques jours puis on te relâche. J’ai « gambadé » ainsi pendant six mois. Une nuit, des jeunes m'ont pissé dessus pendant que je dormais dehors. J'étais abasourdi. J’ai cherché un endroit plus sûr. Pendant quelques mois, j’ai vécu dans le parc du Bourget. Je m'y suis fait des amis : un Arabe, un Polonais. Il y avait même une jeune polonaise. Le matin, on faisait les poubelles des supermarchés. Chacun avait sa poubelle attitrée. On se respectait. C'était amusant quand j'y repense !
J'ai fini par avoir une place à la Mie de pain. Quand j'ai été auditionné par une assistance sociale, j'ai pensé que tous mes problèmes allaient être résolus. Mais elle m'a dit : « Mais Monsieur, il faut aller tout dou-ce-ment, étape par étape.» Je suis content d'avoir cette place. Mais je n'ai pas l'habitude d'être servi. J'assume mes responsabilités. À mes enfants (l'aîné a 16 ans, le dernier 6 ans), quand je les reverrai, je leur raconterai tout. Je ne leur cacherai rien. Je tiens à ce qu’ils se responsabilisent eux aussi très vite. Je tiens aussi à ce qu'ils sachent que, même au loin, leur père ne baisse jamais la garde. Je veille toujours à conserver un corps sain et un esprit positif. Face à un problème, si je n’ai pas la solution, je regarde ailleurs. Il y a quelque temps, j’ai acheté une guitare. Comme tous les Africains, je procède par tâtonnements : si c’est bon, c’est bon ! Si ce n’est pas bon, tu continues ! La perfection viendra un jour. "
Gerard L. (France)
« Je suis né à Dinan, breton par ma mère, tunisien par mon père. Mes parents s’étaient rencontrés en Bretagne pendant la guerre. J’ai peut-être hérité d’eux une certaine tendance à la bougeotte… J’ai commencé par être apprenti pâtissier. Vers 16 ans, j’ai fugué. Puis je me suis retrouvé dans le bâtiment. J’ai même fait, chez Gauvin, le déménageur ! Dans chaque boulot, je ne restais pas très longtemps. Un jour, je me suis engagé dans la Marine nationale. J’ai embarqué comme matelot. Pendant un an, nous avons navigué de Tahiti jusqu’à Papeete, Mururoa, Bora-Bora, les atolls... Je faisais le manœuvre, j’aidais à la cuisine, j’étais partout où l’on avait besoin de moi. À cette époque, je me suis mis en ménage avec une dame qui avait déjà des gosses. Deux fois de suite, je l’ai demandée en mariage. À chaque fois, elle refusait : « Je n’étais jamais là », me disait-elle. Il paraît aussi que j’étais un peu trop volage. Je crois en fait qu’elle en avait marre de moi.
J’ai commencé à commettre des petites conneries lors d’une escale. Des vols de gamin ! Mes copains de l’époque étaient alors tous des voyous. Je prenais des petites peines mais comme je replongeais pendant la période de sursis, j’ai pris un an ferme. Je suis allé à Saint-Malo puis à l’île de Ré. À la Centrale, je m’y sentais bien. On me donnait à faire des filets de tennis. Je travaillais vite. Un filet par jour ! À ma sortie, je me suis fait tatouer le coin des yeux et un cœur brisé sur la poitrine. Et j’ai recommencé les petits boulots. Les déménagements, la cueillette de jonquilles, le ramassage des patates à Jersey… Aujourd’hui encore, j’ai la bougeotte : je vais et je viens dans le quartier. Je ne reste jamais longtemps dans ma chambre. »
J’ai commencé à commettre des petites conneries lors d’une escale. Des vols de gamin ! Mes copains de l’époque étaient alors tous des voyous. Je prenais des petites peines mais comme je replongeais pendant la période de sursis, j’ai pris un an ferme. Je suis allé à Saint-Malo puis à l’île de Ré. À la Centrale, je m’y sentais bien. On me donnait à faire des filets de tennis. Je travaillais vite. Un filet par jour ! À ma sortie, je me suis fait tatouer le coin des yeux et un cœur brisé sur la poitrine. Et j’ai recommencé les petits boulots. Les déménagements, la cueillette de jonquilles, le ramassage des patates à Jersey… Aujourd’hui encore, j’ai la bougeotte : je vais et je viens dans le quartier. Je ne reste jamais longtemps dans ma chambre. »
Manuel de SMC (Portugal)
« Je devrais mettre ma vie par écrit », m’a dit l’infirmière qui me suit au CMP (Centre hospitalier Saint-Anne). Je lui ai répondu que cela ferait un roman assez « catas-tro-phique » ! Je vis en France depuis 40 ans. Mes enfants sont français, mes trois petits-enfants aussi (bientôt quatre). Au sud de Porto, j’ai une grande maison. Elle est entièrement meublée avec des objets en bronze que j’ai réalisés moi-même : lustres, lampadaires, tables de chevet, cadrans d’horloge… Comme mon père, j’ai travaillé le bronze toute ma vie en tant qu’artisan bronzier. Lui, il était orfèvre. En 1992, je me suis mis à mon compte et j’ai ouvert à Saint-Mandé, avec un associé déjà âgé, un atelier de soudure, ciselure, estampage (etc.) au fond d’une rue. Les clients choisissaient les modèles sur catalogue. Nous avions pas mal de travail. Pour vous dire, nous sommes intervenus sur la grille des Invalides ! Mais il y a sept ans, l’atelier a été mis en liquidation. L’activité commençait à décliner et moi, j’étais dépassé par des problèmes personnels.
À la naissance de mon fils (il a 37 ans aujourd’hui), ma femme a commencé à aller avec d’autres hommes. J’ai voulu la quitter mais elle est revenue en me demandant pardon. Quelque temps plus tard, elle a remis ça. Cette fois-ci, c’est elle qui voulait le divorce. Cela ne s’est pas fait non plus. La troisième tentative a eu lieu il y a quelques années. Encore une fois, elle a échoué. Quelques jours avant de signer l’acte, ma femme, qui occupait une loge de gardienne dans le 5e arrondissement, est morte d’un cancer. Je me suis retrouvé à la rue : le propriétaire a repris la loge et m’a mis dehors.
Retourner au Portugal, je n’y ai même pas songé. Revenir au travail du bronze ? C’est un métier où l’on respire beaucoup trop de saletés. Si j’ai des problèmes aux poumons, c’est en partie à cause de ce travail. En fait, j’aurais aimé faire le taxi de nuit. J’aime conduire et faire de la route. Le travail ne m’a jamais fait peur. Ce n’est pas pour rien que je suis un Portugais ! Par contre, rester tout seul chez moi m’angoisse. Quand je suis arrivé à la Mie de Pain, j’ai pris sans hésitation une chambre double. »
À la naissance de mon fils (il a 37 ans aujourd’hui), ma femme a commencé à aller avec d’autres hommes. J’ai voulu la quitter mais elle est revenue en me demandant pardon. Quelque temps plus tard, elle a remis ça. Cette fois-ci, c’est elle qui voulait le divorce. Cela ne s’est pas fait non plus. La troisième tentative a eu lieu il y a quelques années. Encore une fois, elle a échoué. Quelques jours avant de signer l’acte, ma femme, qui occupait une loge de gardienne dans le 5e arrondissement, est morte d’un cancer. Je me suis retrouvé à la rue : le propriétaire a repris la loge et m’a mis dehors.
Retourner au Portugal, je n’y ai même pas songé. Revenir au travail du bronze ? C’est un métier où l’on respire beaucoup trop de saletés. Si j’ai des problèmes aux poumons, c’est en partie à cause de ce travail. En fait, j’aurais aimé faire le taxi de nuit. J’aime conduire et faire de la route. Le travail ne m’a jamais fait peur. Ce n’est pas pour rien que je suis un Portugais ! Par contre, rester tout seul chez moi m’angoisse. Quand je suis arrivé à la Mie de Pain, j’ai pris sans hésitation une chambre double. »
Bernard K. (Pologne)
« Je ne parle pas correctement le français mais j’essaie de l’apprendre. C’est une langue difficile. Je m’exerce à lire tous les jours le journal, les messages que m’envoient mes amis français. Cela m’oblige aussi à écrire. Mais il me faudrait un dictionnaire plus gros. Je lis beaucoup, je m’évade dans la lecture. J’aime surtout les encyclopédies, les beaux livres, les atlas, les livres de géographie, sur les animaux, le sport,
la santé. Je n’aime pas trop les romans. J’écoute aussi de la musique, les très belles chansons de Pierre Bachelet… Mon placard de chambre était rempli de livres. Il y avait ceux que je trouvais dans les brocantes et surtout les livres offerts par les amis ou les librairies qui me les donnent au lieu de les jeter à la poubelle. Aujourd’hui, mon placard est assez vide car j’en ai donné beaucoup aux gens du foyer. C’est après le décès de ma femme en Pologne que j’ai commencé à voyager. L’Allemagne, les Pays-Bas. J’ai un peu oublié ces langues : ne plus vivre dans le pays ne facilite pas leur mémoire. En France, je suis venu me faire opérer. Deux fois de la hanche, une fois du cœur, On devrait me mettre une pile. La France, c’est le dernier pays que j’aurai visité. C’est le pays du miracle que j’attends encore ! Paris, c’est ma maison ! Et le français, c’est ma mère ! »
la santé. Je n’aime pas trop les romans. J’écoute aussi de la musique, les très belles chansons de Pierre Bachelet… Mon placard de chambre était rempli de livres. Il y avait ceux que je trouvais dans les brocantes et surtout les livres offerts par les amis ou les librairies qui me les donnent au lieu de les jeter à la poubelle. Aujourd’hui, mon placard est assez vide car j’en ai donné beaucoup aux gens du foyer. C’est après le décès de ma femme en Pologne que j’ai commencé à voyager. L’Allemagne, les Pays-Bas. J’ai un peu oublié ces langues : ne plus vivre dans le pays ne facilite pas leur mémoire. En France, je suis venu me faire opérer. Deux fois de la hanche, une fois du cœur, On devrait me mettre une pile. La France, c’est le dernier pays que j’aurai visité. C’est le pays du miracle que j’attends encore ! Paris, c’est ma maison ! Et le français, c’est ma mère ! »
Franck K. (France et Tunisie)
"Ma mère m’a appelé Franck parce qu’elle était française. Mon père était tunisien. À trois ans, il m’a emmené à Sousse chez mes grands-parents. J’y suis resté jusqu’à mes 16 ans. Je n’allais pas très bien. Ma vie n’était pas là-bas. Quand mes grands-parents sont morts, je suis revenu en France et j’ai fugué. Mon père m’a retrouvé, ramené à la maison mais je ne m’entendais pas avec ma belle-mère. Il m’a mis à l’hôtel. J’ai travaillé pendant quelque temps puis je me suis marié. J’ai divorcé trois ans après. À la mort de mon père, j’étais vraiment choqué, je suis parti en Italie. À Vérone, j’ai trouvé du travail dans une fonderie puis, à Modène, dans une usine de moteurs électriques.
Un été, je suis revenu en Tunisie. Lorsque j’ai voulu repartir, mon visa de tourisme avait expiré d’un mois et on m’a refoulé à la frontière. J’ai fait alors une bêtise et j’en ai pris pour trois mois de prison. De retour en France, ma belle-mère n’a pas voulu me voir. Je me suis retrouvé sur la paille et dans la rue. On m’a volé mes affaires, mes papiers, mon argent. Mais dans la rue, j’ai trouvé l’amitié. Mon amie était une femme d’une trempe d’acier et d’un caractère de garçon. »
Un été, je suis revenu en Tunisie. Lorsque j’ai voulu repartir, mon visa de tourisme avait expiré d’un mois et on m’a refoulé à la frontière. J’ai fait alors une bêtise et j’en ai pris pour trois mois de prison. De retour en France, ma belle-mère n’a pas voulu me voir. Je me suis retrouvé sur la paille et dans la rue. On m’a volé mes affaires, mes papiers, mon argent. Mais dans la rue, j’ai trouvé l’amitié. Mon amie était une femme d’une trempe d’acier et d’un caractère de garçon. »
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