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L'exposition:  Là, en attente

Denis Hirson

On entre, et dès les premiers portraits on est happé par un courant d’émotions tellement puissant qu’on est tiré vers l’avant, on doit tout voir. On savait d’avance qu’il s’agissait de portraits de gens en prise directe avec les ombres épaisses de la difficulté. Mais on n’était pas préparé à cette lumière qui émane de leurs visages. Si c’étaient des images de personnes noyées au fond du désespoir, le regard morne, défait, à la limite de l’absence, alors on saurait quoi faire : retrouver la porte dès que possible, sortir du bâtiment et rejoindre le monde des doux conforts quotidiens. Mais là, on ne peut pas. On ne veut pas.

 

Ces gens dont on regarde les portraits sur les murs de la Mairie de Paris 13ème, qui ont comme seule adresse le centre d’hébergement La mie de pain, sont d’une présence irrésistible. Le photographe de l’autre côté de l’objectif les a tirés des marges de l’exclusion vers l’autre rive du monde. En effectuant la traversée, ils se sont mis à rayonner.

 

Mais non pas tous : pour certains  il y a juste assez d’indices pour révéler d’où ils viennent. Une mâchoire cadenassée par ici, par là la peau macérée dans trop d’alcool et de soleil, ailleurs les bras d’un fauteuil roulant et la mélancolie au fond de l’œil.

 

Pourtant, cette exposition place ses sujets sous le signe de ce qu’il y a de beau en eux. La preuve : quand les hommes de la Mie de Pain se sont pressés pour entrer dans la salle, ils étaient nombreux à sortir leur portable pour prendre en photo non pas leurs compagnons en train de regarder avec émerveillement les portraits, mais les portraits eux-mêmes.

 

Ensuite, ils se sont mis à lire les textes sur les cartels qui accompagnent les portraits. Il s’agit de quelques centaines de mots sur du papier kraft, le concentré d’une vie racontée à la première personne du singulier. Désastres, départs, ruptures, violence, corps brisés, blessures, vulnérabilité à nu.

 

Pourtant, tout cela est enregistré de façon si sobre, si économe, si juste que la personne concernée en sort acteur principal de sa propre vie, non pas victime mais survivant, constitué et même parfois fortifié par ses épreuves.

 

Ces histoires, relatées ainsi, fonctionnent de la même façon que les portraits : comme des invitations à voir la présence et comprendre le parcours de gens que dans notre quotidien nous aurions tendance à ignorer, voire à fuir. Mais alors que le misérabilisme nous sépare irrémédiablement de ceux dont on ne montre et ne raconte que la souffrance, ici c’est le contraire qui se passe.

 

Il s’agit d’histoires de ténacité et d’endurance que nous avons besoin de lire, sachant que le monde du confort tel que nous le connaissons n’est donné qu’à une minorité absolue, et que nous risquons de nous y trouver emmurés, complaisants même, sur fond de peur des autres que nous excluons.

 

En revanche, face à la lumière de la beauté nous sommes tous égaux, et cette beauté donne envie d’en voir davantage. Dans cette exposition nécessaire, Là, en attente, la beauté fonctionne comme un cheval de Troie qui traverse nos défenses. Les voici, ces gens-là. En attente d’une vie meilleure. Séparément, ensemble, sur les murs. Nos semblables, à nos côtés.         

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