top of page
TÉLÉSCOPAGES
Adine Sagalyn & Annik Hémery
Portraits croisés : Photographies et récits.
Là, en attente vise à changer notre regard sur les personnes accueillies dans les centres d'hébergement et d'insertion parisiens.
Invitées par le Refuge de la Mie de Pain (360 personnes), la photographe Adine Sagalyn et la journaliste Annik Hémery
ont croisé, pendant plus d'une année, portraits photographiques et témoignages écrits des hommes accueillis.
Bertrand N. (Cameroun)
"Quand j'ai décidé de partir de Douala il y a deux ans, je savais que je devrais m'accrocher. Je m’étais dit: « Si c'est bon, c'est bon ! Si c'est pas bon, c'est bon aussi ! » Je viens d'un pays riche où règne le chaos
où l’on ne sait jamais si le lendemain sera gai ou sombre. Je n'ai pas hésité sur le choix du pays. C'était la France. J'aime ses valeurs, sa langue. J'étais heureux et affligé en même temps de partir car je laissais, à la charge de ma mère, mes six enfants. Mais je ne m'attendais pas à vivre ce parcours du combattant pour obtenir de simples documents. Après avoir été hébergé par un cousin, je me suis retrouvé à la rue. J'ai vite appris à faire le 115. On te loge quelques jours puis on te relâche. J’ai « gambadé » ainsi pendant six mois. Une nuit, des jeunes m'ont pissé dessus pendant que je dormais dehors. J'étais abasourdi. J’ai cherché un endroit plus sûr. Pendant quelques mois, j’ai vécu dans le parc du Bourget. Je m'y suis fait des amis : un Arabe, un Polonais. Il y avait même une jeune polonaise. Le matin, on faisait les poubelles des supermarchés. Chacun avait sa poubelle attitrée. On se respectait. C'était amusant quand j'y repense !
J'ai fini par avoir une place à la Mie de pain. Quand j'ai été auditionné par une assistance sociale, j'ai pensé que tous mes problèmes allaient être résolus. Mais elle m'a dit : « Mais Monsieur, il faut aller tout dou-ce-ment, étape par étape.» Je suis content d'avoir cette place. Mais je n'ai pas l'habitude d'être servi. J'assume mes responsabilités. À mes enfants (l'aîné a 16 ans, le dernier 6 ans), quand je les reverrai, je leur raconterai tout. Je ne leur cacherai rien. Je tiens à ce qu’ils se responsabilisent eux aussi très vite. Je tiens aussi à ce qu'ils sachent que, même au loin, leur père ne baisse jamais la garde. Je veille toujours à conserver un corps sain et un esprit positif. Face à un problème, si je n’ai pas la solution, je regarde ailleurs. Il y a quelque temps, j’ai acheté une guitare. Comme tous les Africains, je procède par tâtonnements : si c’est bon, c’est bon ! Si ce n’est pas bon, tu continues ! La perfection viendra un jour. "
où l’on ne sait jamais si le lendemain sera gai ou sombre. Je n'ai pas hésité sur le choix du pays. C'était la France. J'aime ses valeurs, sa langue. J'étais heureux et affligé en même temps de partir car je laissais, à la charge de ma mère, mes six enfants. Mais je ne m'attendais pas à vivre ce parcours du combattant pour obtenir de simples documents. Après avoir été hébergé par un cousin, je me suis retrouvé à la rue. J'ai vite appris à faire le 115. On te loge quelques jours puis on te relâche. J’ai « gambadé » ainsi pendant six mois. Une nuit, des jeunes m'ont pissé dessus pendant que je dormais dehors. J'étais abasourdi. J’ai cherché un endroit plus sûr. Pendant quelques mois, j’ai vécu dans le parc du Bourget. Je m'y suis fait des amis : un Arabe, un Polonais. Il y avait même une jeune polonaise. Le matin, on faisait les poubelles des supermarchés. Chacun avait sa poubelle attitrée. On se respectait. C'était amusant quand j'y repense !
J'ai fini par avoir une place à la Mie de pain. Quand j'ai été auditionné par une assistance sociale, j'ai pensé que tous mes problèmes allaient être résolus. Mais elle m'a dit : « Mais Monsieur, il faut aller tout dou-ce-ment, étape par étape.» Je suis content d'avoir cette place. Mais je n'ai pas l'habitude d'être servi. J'assume mes responsabilités. À mes enfants (l'aîné a 16 ans, le dernier 6 ans), quand je les reverrai, je leur raconterai tout. Je ne leur cacherai rien. Je tiens à ce qu’ils se responsabilisent eux aussi très vite. Je tiens aussi à ce qu'ils sachent que, même au loin, leur père ne baisse jamais la garde. Je veille toujours à conserver un corps sain et un esprit positif. Face à un problème, si je n’ai pas la solution, je regarde ailleurs. Il y a quelque temps, j’ai acheté une guitare. Comme tous les Africains, je procède par tâtonnements : si c’est bon, c’est bon ! Si ce n’est pas bon, tu continues ! La perfection viendra un jour. "
Gerard L. (France)
« Je suis né à Dinan, breton par ma mère, tunisien par mon père. Mes parents s’étaient rencontrés en Bretagne pendant la guerre. J’ai peut-être hérité d’eux une certaine tendance à la bougeotte… J’ai commencé par être apprenti pâtissier. Vers 16 ans, j’ai fugué. Puis je me suis retrouvé dans le bâtiment. J’ai même fait, chez Gauvin, le déménageur ! Dans chaque boulot, je ne restais pas très longtemps. Un jour, je me suis engagé dans la Marine nationale. J’ai embarqué comme matelot. Pendant un an, nous avons navigué de Tahiti jusqu’à Papeete, Mururoa, Bora-Bora, les atolls... Je faisais le manœuvre, j’aidais à la cuisine, j’étais partout où l’on avait besoin de moi. À cette époque, je me suis mis en ménage avec une dame qui avait déjà des gosses. Deux fois de suite, je l’ai demandée en mariage. À chaque fois, elle refusait : « Je n’étais jamais là », me disait-elle. Il paraît aussi que j’étais un peu trop volage. Je crois en fait qu’elle en avait marre de moi.
J’ai commencé à commettre des petites conneries lors d’une escale. Des vols de gamin ! Mes copains de l’époque étaient alors tous des voyous. Je prenais des petites peines mais comme je replongeais pendant la période de sursis, j’ai pris un an ferme. Je suis allé à Saint-Malo puis à l’île de Ré. À la Centrale, je m’y sentais bien. On me donnait à faire des filets de tennis. Je travaillais vite. Un filet par jour ! À ma sortie, je me suis fait tatouer le coin des yeux et un cœur brisé sur la poitrine. Et j’ai recommencé les petits boulots. Les déménagements, la cueillette de jonquilles, le ramassage des patates à Jersey… Aujourd’hui encore, j’ai la bougeotte : je vais et je viens dans le quartier. Je ne reste jamais longtemps dans ma chambre. »
J’ai commencé à commettre des petites conneries lors d’une escale. Des vols de gamin ! Mes copains de l’époque étaient alors tous des voyous. Je prenais des petites peines mais comme je replongeais pendant la période de sursis, j’ai pris un an ferme. Je suis allé à Saint-Malo puis à l’île de Ré. À la Centrale, je m’y sentais bien. On me donnait à faire des filets de tennis. Je travaillais vite. Un filet par jour ! À ma sortie, je me suis fait tatouer le coin des yeux et un cœur brisé sur la poitrine. Et j’ai recommencé les petits boulots. Les déménagements, la cueillette de jonquilles, le ramassage des patates à Jersey… Aujourd’hui encore, j’ai la bougeotte : je vais et je viens dans le quartier. Je ne reste jamais longtemps dans ma chambre. »
Manuel de SMC (Portugal)
« Je devrais mettre ma vie par écrit », m’a dit l’infirmière qui me suit au CMP (Centre hospitalier Saint-Anne). Je lui ai répondu que cela ferait un roman assez « catas-tro-phique » ! Je vis en France depuis 40 ans. Mes enfants sont français, mes trois petits-enfants aussi (bientôt quatre). Au sud de Porto, j’ai une grande maison. Elle est entièrement meublée avec des objets en bronze que j’ai réalisés moi-même : lustres, lampadaires, tables de chevet, cadrans d’horloge… Comme mon père, j’ai travaillé le bronze toute ma vie en tant qu’artisan bronzier. Lui, il était orfèvre. En 1992, je me suis mis à mon compte et j’ai ouvert à Saint-Mandé, avec un associé déjà âgé, un atelier de soudure, ciselure, estampage (etc.) au fond d’une rue. Les clients choisissaient les modèles sur catalogue. Nous avions pas mal de travail. Pour vous dire, nous sommes intervenus sur la grille des Invalides ! Mais il y a sept ans, l’atelier a été mis en liquidation. L’activité commençait à décliner et moi, j’étais dépassé par des problèmes personnels.
À la naissance de mon fils (il a 37 ans aujourd’hui), ma femme a commencé à aller avec d’autres hommes. J’ai voulu la quitter mais elle est revenue en me demandant pardon. Quelque temps plus tard, elle a remis ça. Cette fois-ci, c’est elle qui voulait le divorce. Cela ne s’est pas fait non plus. La troisième tentative a eu lieu il y a quelques années. Encore une fois, elle a échoué. Quelques jours avant de signer l’acte, ma femme, qui occupait une loge de gardienne dans le 5e arrondissement, est morte d’un cancer. Je me suis retrouvé à la rue : le propriétaire a repris la loge et m’a mis dehors.
Retourner au Portugal, je n’y ai même pas songé. Revenir au travail du bronze ? C’est un métier où l’on respire beaucoup trop de saletés. Si j’ai des problèmes aux poumons, c’est en partie à cause de ce travail. En fait, j’aurais aimé faire le taxi de nuit. J’aime conduire et faire de la route. Le travail ne m’a jamais fait peur. Ce n’est pas pour rien que je suis un Portugais ! Par contre, rester tout seul chez moi m’angoisse. Quand je suis arrivé à la Mie de Pain, j’ai pris sans hésitation une chambre double. »
À la naissance de mon fils (il a 37 ans aujourd’hui), ma femme a commencé à aller avec d’autres hommes. J’ai voulu la quitter mais elle est revenue en me demandant pardon. Quelque temps plus tard, elle a remis ça. Cette fois-ci, c’est elle qui voulait le divorce. Cela ne s’est pas fait non plus. La troisième tentative a eu lieu il y a quelques années. Encore une fois, elle a échoué. Quelques jours avant de signer l’acte, ma femme, qui occupait une loge de gardienne dans le 5e arrondissement, est morte d’un cancer. Je me suis retrouvé à la rue : le propriétaire a repris la loge et m’a mis dehors.
Retourner au Portugal, je n’y ai même pas songé. Revenir au travail du bronze ? C’est un métier où l’on respire beaucoup trop de saletés. Si j’ai des problèmes aux poumons, c’est en partie à cause de ce travail. En fait, j’aurais aimé faire le taxi de nuit. J’aime conduire et faire de la route. Le travail ne m’a jamais fait peur. Ce n’est pas pour rien que je suis un Portugais ! Par contre, rester tout seul chez moi m’angoisse. Quand je suis arrivé à la Mie de Pain, j’ai pris sans hésitation une chambre double. »
Bernard K. (Pologne)
« Je ne parle pas correctement le français mais j’essaie de l’apprendre. C’est une langue difficile. Je m’exerce à lire tous les jours le journal, les messages que m’envoient mes amis français. Cela m’oblige aussi à écrire. Mais il me faudrait un dictionnaire plus gros. Je lis beaucoup, je m’évade dans la lecture. J’aime surtout les encyclopédies, les beaux livres, les atlas, les livres de géographie, sur les animaux, le sport,
la santé. Je n’aime pas trop les romans. J’écoute aussi de la musique, les très belles chansons de Pierre Bachelet… Mon placard de chambre était rempli de livres. Il y avait ceux que je trouvais dans les brocantes et surtout les livres offerts par les amis ou les librairies qui me les donnent au lieu de les jeter à la poubelle. Aujourd’hui, mon placard est assez vide car j’en ai donné beaucoup aux gens du foyer. C’est après le décès de ma femme en Pologne que j’ai commencé à voyager. L’Allemagne, les Pays-Bas. J’ai un peu oublié ces langues : ne plus vivre dans le pays ne facilite pas leur mémoire. En France, je suis venu me faire opérer. Deux fois de la hanche, une fois du cœur, On devrait me mettre une pile. La France, c’est le dernier pays que j’aurai visité. C’est le pays du miracle que j’attends encore ! Paris, c’est ma maison ! Et le français, c’est ma mère ! »
la santé. Je n’aime pas trop les romans. J’écoute aussi de la musique, les très belles chansons de Pierre Bachelet… Mon placard de chambre était rempli de livres. Il y avait ceux que je trouvais dans les brocantes et surtout les livres offerts par les amis ou les librairies qui me les donnent au lieu de les jeter à la poubelle. Aujourd’hui, mon placard est assez vide car j’en ai donné beaucoup aux gens du foyer. C’est après le décès de ma femme en Pologne que j’ai commencé à voyager. L’Allemagne, les Pays-Bas. J’ai un peu oublié ces langues : ne plus vivre dans le pays ne facilite pas leur mémoire. En France, je suis venu me faire opérer. Deux fois de la hanche, une fois du cœur, On devrait me mettre une pile. La France, c’est le dernier pays que j’aurai visité. C’est le pays du miracle que j’attends encore ! Paris, c’est ma maison ! Et le français, c’est ma mère ! »
Franck K. (France et Tunisie)
"Ma mère m’a appelé Franck parce qu’elle était française. Mon père était tunisien. À trois ans, il m’a emmené à Sousse chez mes grands-parents. J’y suis resté jusqu’à mes 16 ans. Je n’allais pas très bien. Ma vie n’était pas là-bas. Quand mes grands-parents sont morts, je suis revenu en France et j’ai fugué. Mon père m’a retrouvé, ramené à la maison mais je ne m’entendais pas avec ma belle-mère. Il m’a mis à l’hôtel. J’ai travaillé pendant quelque temps puis je me suis marié. J’ai divorcé trois ans après. À la mort de mon père, j’étais vraiment choqué, je suis parti en Italie. À Vérone, j’ai trouvé du travail dans une fonderie puis, à Modène, dans une usine de moteurs électriques.
Un été, je suis revenu en Tunisie. Lorsque j’ai voulu repartir, mon visa de tourisme avait expiré d’un mois et on m’a refoulé à la frontière. J’ai fait alors une bêtise et j’en ai pris pour trois mois de prison. De retour en France, ma belle-mère n’a pas voulu me voir. Je me suis retrouvé sur la paille et dans la rue. On m’a volé mes affaires, mes papiers, mon argent. Mais dans la rue, j’ai trouvé l’amitié. Mon amie était une femme d’une trempe d’acier et d’un caractère de garçon. »
Un été, je suis revenu en Tunisie. Lorsque j’ai voulu repartir, mon visa de tourisme avait expiré d’un mois et on m’a refoulé à la frontière. J’ai fait alors une bêtise et j’en ai pris pour trois mois de prison. De retour en France, ma belle-mère n’a pas voulu me voir. Je me suis retrouvé sur la paille et dans la rue. On m’a volé mes affaires, mes papiers, mon argent. Mais dans la rue, j’ai trouvé l’amitié. Mon amie était une femme d’une trempe d’acier et d’un caractère de garçon. »
Anatole N. (Cameroun)
Je ne regrette pas d’avoir quitté le Cameroun. Si je ne l’avais pas fait, je ne serais peut-être plus en vie aujourd’hui. On s’est aperçu ici que j’avais une maladie rare, la maladie de Kaposi. Mais ce n’est pas pour cette raison que j’ai quitté Douala.
L’avenir pour nous n’est plus sur place. Nous avons tellement, et si vite, régressé au Cameroun. Dans les années 80, nous avions des hôpitaux, des écoles, des routes… Les infrastructures étaient d’une grande qualité et en constante progression. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On peut mourir d’une maladie comme le paludisme. Alors les gens partent pour sauver leur peau. Je travaillais pour une société internationale. Elle a licencié pour des motifs économiques et je me suis retrouvé, du jour au lendemain, avec un niveau de vie bien inférieur à celui que j’avais auparavant. C’est pour assurer un avenir à mes quatre enfants que je suis parti. Aujourd’hui mes deux filles font leurs études en Italie, mes deux garçons sont en Grande-Bretagne. Quand ils reviendront au pays, ils auront de bons diplômes. D’ici là, le Cameroun se sera peut-être relevé.
"Je ne pense pas que partir soit une solution. C’est toujours un échec. Si, après vingt ans de cavale, vous vous retrouvez dans un centre d’hébergement comme moi, on ne peut pas dire que vous avez réussi. Mais je suis mal placé pour dire aux jeunes de ne pas partir à l’aventure, qu’ils doivent rester sur place et chercher des solutions qui ne porteront leurs fruits que dans un avenir très lointain.
Depuis que je suis arrivé, je ne vis que pour mes enfants. Ils sont devenus mon obsession. J’en ai oublié de vivre. L’une de mes filles est venue récemment me voir à Paris. Je ne l’avais pas vue depuis 17 ans. Je n’ai pas fondu en larmes. J’avais fait ce qu’il fallait faire. Elle a tenu à tout voir. Je lui ai tout montré. »
L’avenir pour nous n’est plus sur place. Nous avons tellement, et si vite, régressé au Cameroun. Dans les années 80, nous avions des hôpitaux, des écoles, des routes… Les infrastructures étaient d’une grande qualité et en constante progression. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On peut mourir d’une maladie comme le paludisme. Alors les gens partent pour sauver leur peau. Je travaillais pour une société internationale. Elle a licencié pour des motifs économiques et je me suis retrouvé, du jour au lendemain, avec un niveau de vie bien inférieur à celui que j’avais auparavant. C’est pour assurer un avenir à mes quatre enfants que je suis parti. Aujourd’hui mes deux filles font leurs études en Italie, mes deux garçons sont en Grande-Bretagne. Quand ils reviendront au pays, ils auront de bons diplômes. D’ici là, le Cameroun se sera peut-être relevé.
"Je ne pense pas que partir soit une solution. C’est toujours un échec. Si, après vingt ans de cavale, vous vous retrouvez dans un centre d’hébergement comme moi, on ne peut pas dire que vous avez réussi. Mais je suis mal placé pour dire aux jeunes de ne pas partir à l’aventure, qu’ils doivent rester sur place et chercher des solutions qui ne porteront leurs fruits que dans un avenir très lointain.
Depuis que je suis arrivé, je ne vis que pour mes enfants. Ils sont devenus mon obsession. J’en ai oublié de vivre. L’une de mes filles est venue récemment me voir à Paris. Je ne l’avais pas vue depuis 17 ans. Je n’ai pas fondu en larmes. J’avais fait ce qu’il fallait faire. Elle a tenu à tout voir. Je lui ai tout montré. »
Petar I. (Bulgarie)
« Je m'appelle Petar, Pierre en français. Je suis né à Hissar, une petite ville bulgare. Elle est connue pour ses sources chaudes, ses murs romains aussi. Il y a dix-sept ans, je suis venu en France avec ma femme Maria et mes deux fils.
En 2000, ce n'était plus si compliqué de voyager.
Au bout d'un mois, j'avais déjà trouvé du travail à Paris. Comme j'étais dans le bâtiment, je suis devenu plâtrier, peintre, carreleur, porteur de parpaings... Un Bulgare marié avec une Française m'a employé pendant six mois. Puis, un Yougoslave, enfin un Portugais. Je suis resté avec lui pendant dix ans. Maria est devenue femme de ménage. À Hissar, elle tenait un commerce. Quand nous sommes arrivés à Paris, nos deux fils, Alexander et Pavel, étaient déjà grands. Nous habitions alors à Jossigny, près de Disney Land. Comme ils avaient des difficultés en français, ils ont voulu, au bout de trois ans, repartir en Bulgarie. Je leur ai dit : « Allez-y ! Pas de problème ! » C'était en 2004. Ils se sont installés à Varna, au bord de la Mer noire. Ils se sont mariés, l'aîné a une petite fille qui s'appelle Ivana. Pour les aider à démarrer dans la vie, je leur ai donné un appartement que j'avais construit. J'ai aussi un appartement à Plovdiv.
Il y a neuf ans, Maria a été renversée par une voiture. Elle est morte sur le coup. Je me suis retrouvé très seul dans l'appartement. Tout est devenu d’un coup plus difficile pour moi. Quand je suis arrivé à la Mie de Pain, on m'a volé mon bagage. On m'a tout pris, les photos de ma femme, mes papiers, ma carte d'identité, ma carte de bancaire, mon porte-feuille...
J'ai tout perdu. Tous mes souvenirs maintenant se trouvent en Bulgarie. »
En 2000, ce n'était plus si compliqué de voyager.
Au bout d'un mois, j'avais déjà trouvé du travail à Paris. Comme j'étais dans le bâtiment, je suis devenu plâtrier, peintre, carreleur, porteur de parpaings... Un Bulgare marié avec une Française m'a employé pendant six mois. Puis, un Yougoslave, enfin un Portugais. Je suis resté avec lui pendant dix ans. Maria est devenue femme de ménage. À Hissar, elle tenait un commerce. Quand nous sommes arrivés à Paris, nos deux fils, Alexander et Pavel, étaient déjà grands. Nous habitions alors à Jossigny, près de Disney Land. Comme ils avaient des difficultés en français, ils ont voulu, au bout de trois ans, repartir en Bulgarie. Je leur ai dit : « Allez-y ! Pas de problème ! » C'était en 2004. Ils se sont installés à Varna, au bord de la Mer noire. Ils se sont mariés, l'aîné a une petite fille qui s'appelle Ivana. Pour les aider à démarrer dans la vie, je leur ai donné un appartement que j'avais construit. J'ai aussi un appartement à Plovdiv.
Il y a neuf ans, Maria a été renversée par une voiture. Elle est morte sur le coup. Je me suis retrouvé très seul dans l'appartement. Tout est devenu d’un coup plus difficile pour moi. Quand je suis arrivé à la Mie de Pain, on m'a volé mon bagage. On m'a tout pris, les photos de ma femme, mes papiers, ma carte d'identité, ma carte de bancaire, mon porte-feuille...
J'ai tout perdu. Tous mes souvenirs maintenant se trouvent en Bulgarie. »
Jean-Piere B. (Sénégal)
« Je suis venu en France, il y a cinq ans, dans l'espoir de trouver une vie meilleure... au Sénégal, mon pays. Il est riche et plein de promesses : on peut moderniser sa pêche, ouvrir des usines de jus de fruits en Casamance et de lait en poudre dans le Nord.
On peut essayer d'imiter l'Europe. Mon idée est de revenir chez moi, créer mon entreprise afin d'exploiter ces richesses et faire travailler des jeunes pour qu'ils ne pensent plus à venir en Europe. Mais pour ces projets, il faut des financements. Les trouver au Sénégal, c'est encore plus difficile qu'en France !
La première fois que je suis venu en France avec un ami et sa fille de six ans, c'était juste pour me faire une idée, tenter de comprendre. C'était l'été, je me trouvais dans le Sud. J'ai commencé à gagner facilement de l'argent sans vraiment travailler : il m'a suffi d'être sélectionné en finale à quelques grands tournois de pétanque.
Depuis que j'ai dix ans (j'en ai 42 ans aujourd'hui), je joue à la pétanque. Dans mon quartier à Dakar, les meilleurs joueurs se retrouvaient dans le Club de pétanque situé à côté de chez nous. Mes parents, mes oncles, les voisins, tout le monde y jouait, y compris les vieux qui avaient fait l'armée française. Nous, les enfants, nous avons appris en les regardant. On y jouait avec des boules en plastique dès que nous sortions de l'école. L'été, c'était toute la journée ! On ne s'arrêtait que pour diner ou faire la sieste. Quand les vieux s'asseyaient pour discuter, ils prêtaient aux meilleurs d'entre nous leurs boules en métal. Je faisais partie des plus doués !
Ces premiers succès m'ont conforté dans mon idée de rester en France. Je suis monté à Paris chercher du travail dans le bâtiment. Je suis peintre en bâtiment. Il n'était pas question pour moi de vivre de la pétanque ! La pétanque n'est pas un métier, ici comme ailleurs. À moins qu'un grand Club ne me repère ou qu'une mairie ne me sponsorise en me trouvant un emploi. Je me suis tout de même inscrit à un Club parisien dont je suis licencié. Mais, pour participer aux tournois, il faut être Français et avoir des papiers !
Entre-temps, j'ai rencontré une belle Bretonne. Ce n'était pas prévu dans mon parcours d'émigré mais on ne peut pas fuir l'amour quand il vous tombe dessus ! Nous nous sommes mariés récemment. J'ai déposé une première demande pour avoir des papiers. Dès que je les aurai, je chercherai du travail. Et avec l'argent gagné, je pourrai peut-être repartir au pays. »
On peut essayer d'imiter l'Europe. Mon idée est de revenir chez moi, créer mon entreprise afin d'exploiter ces richesses et faire travailler des jeunes pour qu'ils ne pensent plus à venir en Europe. Mais pour ces projets, il faut des financements. Les trouver au Sénégal, c'est encore plus difficile qu'en France !
La première fois que je suis venu en France avec un ami et sa fille de six ans, c'était juste pour me faire une idée, tenter de comprendre. C'était l'été, je me trouvais dans le Sud. J'ai commencé à gagner facilement de l'argent sans vraiment travailler : il m'a suffi d'être sélectionné en finale à quelques grands tournois de pétanque.
Depuis que j'ai dix ans (j'en ai 42 ans aujourd'hui), je joue à la pétanque. Dans mon quartier à Dakar, les meilleurs joueurs se retrouvaient dans le Club de pétanque situé à côté de chez nous. Mes parents, mes oncles, les voisins, tout le monde y jouait, y compris les vieux qui avaient fait l'armée française. Nous, les enfants, nous avons appris en les regardant. On y jouait avec des boules en plastique dès que nous sortions de l'école. L'été, c'était toute la journée ! On ne s'arrêtait que pour diner ou faire la sieste. Quand les vieux s'asseyaient pour discuter, ils prêtaient aux meilleurs d'entre nous leurs boules en métal. Je faisais partie des plus doués !
Ces premiers succès m'ont conforté dans mon idée de rester en France. Je suis monté à Paris chercher du travail dans le bâtiment. Je suis peintre en bâtiment. Il n'était pas question pour moi de vivre de la pétanque ! La pétanque n'est pas un métier, ici comme ailleurs. À moins qu'un grand Club ne me repère ou qu'une mairie ne me sponsorise en me trouvant un emploi. Je me suis tout de même inscrit à un Club parisien dont je suis licencié. Mais, pour participer aux tournois, il faut être Français et avoir des papiers !
Entre-temps, j'ai rencontré une belle Bretonne. Ce n'était pas prévu dans mon parcours d'émigré mais on ne peut pas fuir l'amour quand il vous tombe dessus ! Nous nous sommes mariés récemment. J'ai déposé une première demande pour avoir des papiers. Dès que je les aurai, je chercherai du travail. Et avec l'argent gagné, je pourrai peut-être repartir au pays. »
Khalif J. (Afghanistan)
Abulaiti J. (Chine)
Alexander A. (Guyane
"Aux policiers et aux juges, je souriais de toutes mes dents blanches. Ils me disaient : « Tu as un bon sourire, Alexander, tu es une gentille personne, un homme populaire. » Et ils me relâchaient. Depuis tout jeune, je fume du cannabis. En Guyane, tout le monde fume. Moi, c’est mon professeur de menuiserie qui m’a montré comment faire. Cela donne du peps dans la vie de tous les jours, au lit comme sur la mer ! J’étais un rastaman marin-pêcheur. Je ne pense pas avoir été un bon pêcheur mais mes patrons devaient l’être car on gagnait pas mal d'argent à pêcher la crevette. Une fois à terre, je courais fumer tout ce que j’avais gagné. Un jour, je suis passé au crack. J’avais une femme et trois beaux enfants. Ma femme disait que tout ce que je ramenais à la maison était volé car tout ce que je gagnais, je le dépensais pour m’acheter de la drogue. Elle a demandé le divorce. J’ai perdu également la santé. Un jour de tempête, je suis tombé dans le « frigo » d’un bateau. Je ne m’en suis jamais remis physiquement. J’ai continué à pêcher mais tout seul. Je me suis rendu compte que si je continuais ainsi, je deviendrais fou. Je suis parti en France pour me faire soigner. J’y ai rencontré des personnes extraordinaires qui m’ont fait confiance et donné de l’énergie pour remonter la pente. Je les ai écoutées alors que je n’ai jamais écouté personne de ma vie. Pas même ma mère !
À l’hôpital, j’ai coupé mes dreadlocks pour ne plus faire racaille. Je me suis dit : « Si tu replonges, tu ne retourneras plus jamais aux Antilles, tu reverras plus St Lucia, ton île natale, tu reverras plus jamais tes enfants. » Cela fait maintenant sept ans que j’ai arrêté. Je me sens bien, sans souci et sans complexe. J’aimerais que mon témoignage puisse aider les autres. "
À l’hôpital, j’ai coupé mes dreadlocks pour ne plus faire racaille. Je me suis dit : « Si tu replonges, tu ne retourneras plus jamais aux Antilles, tu reverras plus St Lucia, ton île natale, tu reverras plus jamais tes enfants. » Cela fait maintenant sept ans que j’ai arrêté. Je me sens bien, sans souci et sans complexe. J’aimerais que mon témoignage puisse aider les autres. "
Arab H. (Algérie)
« Comme tant d’autres Algériens, je suis arrivé en France pendant la Guerre civile. Avec le recul, je pense que je n’aurais jamais dû quitter ma famille, ma femme et mes enfants. Mais je suis parti, c’est ainsi ! J’avais été maître d’hôtel dans un grand restaurant de Bougie (Béjaia) en Kabylie, dans un quartier très touristique. La Guerre civile a fait fuir les touristes et m’a fait perdre ma place. Mais je ne suis pas mort contrairement à certains proches. Je pensais qu’en France, tout allait être beaucoup plus simple, comme pour mon visa que j’ai obtenu sans difficulté. Je travaillerais quelque temps puis reviendrais au pays mener une vie normale. Une vie normale ? C’est vivre avec ceux que l’on aime.
À peine débarqué à Marseille, il y a 14 ans, j’ai filé à Lyon où vivaient des amis. J’ai travaillé partout où il est possible de gagner de l’argent : sur les chantiers, les marchés... On ne choisit pas l’endroit quand on a besoin d’argent !
J’ai demandé l’asile politique qui m’a été refusé. A partir de là, je me suis retrouvé à la rue. J’y suis resté deux ans ! Le 115, j’ai vite appris à le faire ! Il m’arrivait de garder mon portable, toute la journée, collé à l’oreille. Dans la rue, on rencontre des personnes et surtout l’alcool. On boit pour oublier le présent. La rue, c’est avoir toujours l’angoisse de ne pas savoir où l’on va dormir, si l’on va manger. Mais mendier, jamais je n’ai pu le faire ! Dans la rue, on attend. Il arrive que des gens donnent quelque chose. Toujours j’ai tenu à être bien habillé pour que l’on ne pense pas que je suis dans le besoin.
Quand je suis arrivé au refuge, j’ai été stupéfait de voir que certains sortaient la journée pour faire la manche. Y compris des Français !
En ce moment, je n’ai plus goût à rien. Sortir ? Pour aller où ? Lire ? A quoi cela sert-il quand on a pas de papiers ? Quand je pose des questions, on me dit : « Pas encore ! Pas encore ! » C’est dur, cette attente !
Il m’arrive de me demander ce que deviendra ma femme si je disparaissais. Cette pensée, et celle aussi du prochain mariage de ma fille me minent. Ne pas assister à la fête, ne pas pouvoir lui envoyer de l’argent… Ma fille a fait des études d’ingénieur, son futur mari aussi. Ils pensent s’installer au Canada. Ma famille ne sait pas ce que j’endure ici. Comment leur raconter ma situation présente sans les inquiéter ? »
À peine débarqué à Marseille, il y a 14 ans, j’ai filé à Lyon où vivaient des amis. J’ai travaillé partout où il est possible de gagner de l’argent : sur les chantiers, les marchés... On ne choisit pas l’endroit quand on a besoin d’argent !
J’ai demandé l’asile politique qui m’a été refusé. A partir de là, je me suis retrouvé à la rue. J’y suis resté deux ans ! Le 115, j’ai vite appris à le faire ! Il m’arrivait de garder mon portable, toute la journée, collé à l’oreille. Dans la rue, on rencontre des personnes et surtout l’alcool. On boit pour oublier le présent. La rue, c’est avoir toujours l’angoisse de ne pas savoir où l’on va dormir, si l’on va manger. Mais mendier, jamais je n’ai pu le faire ! Dans la rue, on attend. Il arrive que des gens donnent quelque chose. Toujours j’ai tenu à être bien habillé pour que l’on ne pense pas que je suis dans le besoin.
Quand je suis arrivé au refuge, j’ai été stupéfait de voir que certains sortaient la journée pour faire la manche. Y compris des Français !
En ce moment, je n’ai plus goût à rien. Sortir ? Pour aller où ? Lire ? A quoi cela sert-il quand on a pas de papiers ? Quand je pose des questions, on me dit : « Pas encore ! Pas encore ! » C’est dur, cette attente !
Il m’arrive de me demander ce que deviendra ma femme si je disparaissais. Cette pensée, et celle aussi du prochain mariage de ma fille me minent. Ne pas assister à la fête, ne pas pouvoir lui envoyer de l’argent… Ma fille a fait des études d’ingénieur, son futur mari aussi. Ils pensent s’installer au Canada. Ma famille ne sait pas ce que j’endure ici. Comment leur raconter ma situation présente sans les inquiéter ? »
Guytho D. (Venezuela)
« Comme tous les Haïtiens, j'ai la mentalité française. Depuis tout petit, j'ai cette langue dans la tête. À ?Port-au-Prince, j'ai le souvenir d'une enfance plutôt aisée : ma mère tenait un restaurant, avait une voiture. Mais après l'accident, elle a dû la vendre et, à partir de là, les sous se sont mis à diminuer chez nous. Mon père s'est révélé incapable de relever l'affaire. Ma mère est alors partie à Caracas. Le Venezuela, à ce moment-là, faisait envie. Je l'ai suivie comme mon frère ainé et ma sœur. J'avais alors beaucoup d'ambition. J'ai pris des cours intensifs pour devenir contrôleur aérien et même couturier. À 23 ans, j'ai demandé l'asile politique en France. La vie au Venezuela se montrait trop dangereuse. À tout instant, tu peux mourir parce que tu as des chaussures ou une montre qui plaisent à un jeune drogué. Comme l'asile m'a été refusé, je suis revenu à Caracas.
Je travaillais comme vendeur de rues quand, en 2004, des jeunes ont dévalisé ma marchandise et tiré dessus. J'ai été blessé à la jambe gauche. Grâce à mon frère qui tient un atelier de couture, j'ai pu retourner en France pour me faire soigner. On m'a vissé une pièce de métal dans la cuisse, qui part du genou à la hanche. Tous les jours, je prends des médicaments pour me soulager et continuer à marcher. Et aussi pour dormir. Il m'arrive de faire encore des cauchemars.
Les débuts en France n'ont pas été faciles. À peine arrivé en France, je me suis retrouvé à la rue pendant plusieurs mois. Pour survivre, j'ai vite compris qu'il fallait fuir les groupes qui vous forcent à boire et à faire la manche. Pour des raisons de sécurité, je changeais tous les jours de quartier. Rester mobile m'a certainement sauvé. Je choisissais surtout des endroits à côté des églises. Ils sont plus sûrs et les habitants ont une autre mentalité, ils donnent plus facilement de la nourriture et des vêtements. Être bien habillé a toujours été mon souci. Si tes habits sont sales, on te regarde de travers ou on t'ignore. Par contre, quand tu fouilles les poubelles bien habillé, on te propose spontanément de la nourriture ou des vêtements. Tout ce que j'ai sur moi m'a été donné par des gens ou vient de ce que j'y ai moi-même déniché. Même si je suis hébergé à la Mie de Pain depuis sept ans, je me déplace toujours avec deux grands sacs pour y mettre ce que je continue à trouver dans la rue. En même temps, je me rééduque la jambe en marchant.
En général, j'évite de croiser des Vénézuéliens : on n'a pas les mêmes rapports avec l'argent. Si tu n'as pas d'argent au Venezuela, tu ne peux rien faire, juste crever. Ici, sans un euro en poche, tu peux toujours manger avec un couteau et une fourchette, prendre le métro, le bus... Et travailler aussi. J'ai fait à peu près tous les boulots.
En attendant d'avoir ma carte de séjour pour soins, je vais souvent à la Bagagerie d'Antigel où j'ai des amis. Avec eux, nous faisons des sorties au musée. On est même parti en Bretagne pour une semaine de vacances. Cela fait du bien de changer de lieux et de têtes. Ce que je recherche ? Un travail dans la sécurité (ou l'hôtellerie) et surtout une personne d'ici qui me comprenne. Pour le reste, je dispose en France de toutes les aides qu'il faut pour tenir debout et continuer d'avancer.»
Je travaillais comme vendeur de rues quand, en 2004, des jeunes ont dévalisé ma marchandise et tiré dessus. J'ai été blessé à la jambe gauche. Grâce à mon frère qui tient un atelier de couture, j'ai pu retourner en France pour me faire soigner. On m'a vissé une pièce de métal dans la cuisse, qui part du genou à la hanche. Tous les jours, je prends des médicaments pour me soulager et continuer à marcher. Et aussi pour dormir. Il m'arrive de faire encore des cauchemars.
Les débuts en France n'ont pas été faciles. À peine arrivé en France, je me suis retrouvé à la rue pendant plusieurs mois. Pour survivre, j'ai vite compris qu'il fallait fuir les groupes qui vous forcent à boire et à faire la manche. Pour des raisons de sécurité, je changeais tous les jours de quartier. Rester mobile m'a certainement sauvé. Je choisissais surtout des endroits à côté des églises. Ils sont plus sûrs et les habitants ont une autre mentalité, ils donnent plus facilement de la nourriture et des vêtements. Être bien habillé a toujours été mon souci. Si tes habits sont sales, on te regarde de travers ou on t'ignore. Par contre, quand tu fouilles les poubelles bien habillé, on te propose spontanément de la nourriture ou des vêtements. Tout ce que j'ai sur moi m'a été donné par des gens ou vient de ce que j'y ai moi-même déniché. Même si je suis hébergé à la Mie de Pain depuis sept ans, je me déplace toujours avec deux grands sacs pour y mettre ce que je continue à trouver dans la rue. En même temps, je me rééduque la jambe en marchant.
En général, j'évite de croiser des Vénézuéliens : on n'a pas les mêmes rapports avec l'argent. Si tu n'as pas d'argent au Venezuela, tu ne peux rien faire, juste crever. Ici, sans un euro en poche, tu peux toujours manger avec un couteau et une fourchette, prendre le métro, le bus... Et travailler aussi. J'ai fait à peu près tous les boulots.
En attendant d'avoir ma carte de séjour pour soins, je vais souvent à la Bagagerie d'Antigel où j'ai des amis. Avec eux, nous faisons des sorties au musée. On est même parti en Bretagne pour une semaine de vacances. Cela fait du bien de changer de lieux et de têtes. Ce que je recherche ? Un travail dans la sécurité (ou l'hôtellerie) et surtout une personne d'ici qui me comprenne. Pour le reste, je dispose en France de toutes les aides qu'il faut pour tenir debout et continuer d'avancer.»
Jean-Marie NF (Cameroun)
Thierry M. (France)
« Je suis né à la Clinique des Princes à Boulogne-Billancourt mais mon enfance, je l'ai passée dans les grandes cités de Choisy-le-Roi ! La famille était modeste. Le père chauffeur livreur chez Air Liquide, la mère ne travaillait pas. Interdit par le père ! À 13 ans, j'ai fait le commis boucher, je livrais à vélo les petits vieux du quartier qui ne pouvaient pas se déplacer. Le soir, je prenais des cours pour devenir ingénieur métallurgiste. J'ai d'abord été embauché comme ouvrier dans une usine à Vitry-sur-Seine, puis je suis passé au Bureau d'Études. J'assurais la logistique, l'audit des fournisseurs, etc. Pendant trente ans, j'ai travaillé pour Air Liquide dans le para médical et l'aérospatial. J'ai même été détaché sur la base de Kourou où j'ai vu décoller la fusée Ariane 4. Ma femme aussi avait une très bonne situation. Secrétaire de direction. Notre train de vie était assez élevé, un appartement de standing dans le 12 e arrondissement, une belle voiture... Un jour, je suis arrivé au travail avec une Corvette, ce n'était pas la mienne mais ça a fait de l'effet.
Et puis, ma femme s'est mise à halluciner, à entendre des voix. Elle est devenue schizophrène. À mes enfants et moi, elle menait une vie infernale. La nuit, elle dormait avec un couteau de boucher sous l'oreiller. L'appartement s'est mis à ressembler à un château de Versailles en ruine. Contre l'avis de sa famille et de la mienne, je l'ai fait interner en psychiatrie. De mon côté, je me suis remis en ménage avec une autre femme. Et j'ai continué à voyager pour mon travail. La Suisse, l'Autriche, la Tchéquie... Un soir, de retour à la maison plus tôt que prévu, il y avait un homme dans mon lit. J'ai vu rouge, tapé tout le monde. Je me suis retrouvé directement à Fresnes. J'en ai pris pour deux ans. Mais j'ai eu une remise de peine car je faisais des travaux d'intérêt général.
À ma sortie, tout s'est accéléré. Je me suis retrouvé à dormir dans le bois de Boulogne. J'allais très mal. J'ai été récupéré par une maraude. Direction l'hôpital puis la Mie de pain. Mais dans les anciens locaux ! Je n'y suis pas resté très longtemps. Des dortoirs avec des lits superposés, des voisins de lit qui vous pissent dessus ou jettent des bouteilles en verre... Il y avait toutes les pathologies du monde. Ce n'était pas possible. Je suis parti en Normandie faire le cuistot. Je ne me suis jamais fait à la mentalité des gens de là-bas. Paris me manquait trop. Je suis alors revenu à la Mie de Pain, dans les nouveaux bâtiments cette fois-ci. J'ai fait des tentatives pour retrouver du travail chez Framatome et Alstom. Trop vieux et trop qualifié, m'a-t-on dit. Ici, on me répète à longueur de journée que je dois remonter la pente, arrêter de penser au passé. Mais moi, j'ai décroché. Je ne veux plus jouer de rôle, je n'attends plus que ma retraite que je passerai, je l'espère, sur le Bassin d'Arcachon où sont enterrés mes parents et où vivent mes deux frères. Récemment, j'ai appris incidemment que j'étais grand-père. Cela fait plus de douze ans que je n'ai pas revu mon fils aîné. Mes enfants ne savent pas où je vis. Top secret ! Ils croient que je suis parti aux Seychelles me la couler douce. »
Et puis, ma femme s'est mise à halluciner, à entendre des voix. Elle est devenue schizophrène. À mes enfants et moi, elle menait une vie infernale. La nuit, elle dormait avec un couteau de boucher sous l'oreiller. L'appartement s'est mis à ressembler à un château de Versailles en ruine. Contre l'avis de sa famille et de la mienne, je l'ai fait interner en psychiatrie. De mon côté, je me suis remis en ménage avec une autre femme. Et j'ai continué à voyager pour mon travail. La Suisse, l'Autriche, la Tchéquie... Un soir, de retour à la maison plus tôt que prévu, il y avait un homme dans mon lit. J'ai vu rouge, tapé tout le monde. Je me suis retrouvé directement à Fresnes. J'en ai pris pour deux ans. Mais j'ai eu une remise de peine car je faisais des travaux d'intérêt général.
À ma sortie, tout s'est accéléré. Je me suis retrouvé à dormir dans le bois de Boulogne. J'allais très mal. J'ai été récupéré par une maraude. Direction l'hôpital puis la Mie de pain. Mais dans les anciens locaux ! Je n'y suis pas resté très longtemps. Des dortoirs avec des lits superposés, des voisins de lit qui vous pissent dessus ou jettent des bouteilles en verre... Il y avait toutes les pathologies du monde. Ce n'était pas possible. Je suis parti en Normandie faire le cuistot. Je ne me suis jamais fait à la mentalité des gens de là-bas. Paris me manquait trop. Je suis alors revenu à la Mie de Pain, dans les nouveaux bâtiments cette fois-ci. J'ai fait des tentatives pour retrouver du travail chez Framatome et Alstom. Trop vieux et trop qualifié, m'a-t-on dit. Ici, on me répète à longueur de journée que je dois remonter la pente, arrêter de penser au passé. Mais moi, j'ai décroché. Je ne veux plus jouer de rôle, je n'attends plus que ma retraite que je passerai, je l'espère, sur le Bassin d'Arcachon où sont enterrés mes parents et où vivent mes deux frères. Récemment, j'ai appris incidemment que j'étais grand-père. Cela fait plus de douze ans que je n'ai pas revu mon fils aîné. Mes enfants ne savent pas où je vis. Top secret ! Ils croient que je suis parti aux Seychelles me la couler douce. »
Ishaka F? (Côte d’Ivoire)
"Je n’ai jamais appris à lire. Il n'y avait pas d’école dans notre village de Côte d'Ivoire. Il était bien trop loin de tout. Depuis tout petit, j'ai appris
à travailler avec mes parents dans les champs de cacao. J'aidais ma mère à porter de l'eau. Un peu plus grand, j'ai aidé à défricher, à planter. J'avais 26 ans quand, pour la première fois, je suis monté à la capitale. Une connaissance de la famille m'avait fait venir pour que je travaille avec elle à la blanchisserie. Je ne connaissais rien au lavage ni au repassage. Elle n'avait pas prévenu son mari de ma venue. Il s'est méfié, il m'a demandé si j'étais gentil ou mauvais. Je lui ai répondu que je n'en savais rien et que sa question n'appelait aucune réponse. Mais qu'il me laisse le temps et il verrait par lui-même. Cela a bien marché, je me suis fait à la blanchisserie mais c'est la blanchisserie qui a commencé à ne pas aller très bien. Un jour, ma patronne m'a dit que je devais partir mais que j'étais un gentil garçon. J'ai travaillé ensuite dans une usine qui fabriquait des chaussures. J'ai appris à me servir de toutes les machines. Je suis arrivé en France en 2008. Mon cœur battait très fort quand je suis descendu de l'avion d'Air France. Je ne connaissais personne à Paris. Sur les 6500 euros que j’avais au départ, il ne me restait plus que 1500 euros en poche… "
à travailler avec mes parents dans les champs de cacao. J'aidais ma mère à porter de l'eau. Un peu plus grand, j'ai aidé à défricher, à planter. J'avais 26 ans quand, pour la première fois, je suis monté à la capitale. Une connaissance de la famille m'avait fait venir pour que je travaille avec elle à la blanchisserie. Je ne connaissais rien au lavage ni au repassage. Elle n'avait pas prévenu son mari de ma venue. Il s'est méfié, il m'a demandé si j'étais gentil ou mauvais. Je lui ai répondu que je n'en savais rien et que sa question n'appelait aucune réponse. Mais qu'il me laisse le temps et il verrait par lui-même. Cela a bien marché, je me suis fait à la blanchisserie mais c'est la blanchisserie qui a commencé à ne pas aller très bien. Un jour, ma patronne m'a dit que je devais partir mais que j'étais un gentil garçon. J'ai travaillé ensuite dans une usine qui fabriquait des chaussures. J'ai appris à me servir de toutes les machines. Je suis arrivé en France en 2008. Mon cœur battait très fort quand je suis descendu de l'avion d'Air France. Je ne connaissais personne à Paris. Sur les 6500 euros que j’avais au départ, il ne me restait plus que 1500 euros en poche… "
A.B. (Algérie)
A Ghardaïa, j'amenais souvent des touristes en excursion dans le désert. On partait en 4 x 4 puis à dos de chameau. À la nuit tombée, on bivouaquait sous les étoiles. C'est comme cela que j'ai appris pas mal de langues et pris goût au voyage. En général, j'aime voyager seul, m'arrêter là où il me plait. Quand je suis venu en France, le 1 juin 2000, ce n'était pas pour voyager mais pour sauver ma peau.
J'avais alors 35 ans. Je m'étais engagé dans l'armée, dix ans auparavant, pour servir mon pays. Pendant la guerre civile, j'ai assisté à des choses atroces. Et puis il y a eu cette « embuscade ». Une nuit, nos chefs nous ont dit de partir dans la montagne. C'était en fait une mission sans retour. Ils voulaient nous liquider car on commençait à se poser des questions sur les « missions » que l'Armée nous confiait. Ils auraient fait croire que c'était le GIA (Groupe Islamique Armé). Sur 50 hommes, il n'y a eu que treize rescapés. J'ai reçu une balle dans le pied. J'ai marché longtemps avant d'être recueilli par une famille. Ils ont appelé un médecin. Comme je ne voulais pas aller à l'hôpital, il m'a extrait la balle sans anesthésie. Mais je perdais trop de sang, alors ils m'ont donné des vêtements civils et conduit aux Urgences. Je n'y suis resté que deux jours puis je me suis enfui. J'ai été porté disparu. Mon frère m'a aidé à m'embarquer pour la France. J’ai obtenu mon visa avec une facilité qui m’étonne encore. Je n'ai même pas eu à changer mon nom. Je ne suis pas resté à Marseille, trop semblable à Alger. Je ne désirais qu'une seule chose, rencontrer de nouvelles têtes, bouger, tourner la page…
En France, j'ai continué à voyager. Je m'arrête quand j'ai le coup de cœur, je dors chez les gens. Entre-temps, cela m'est tombé dessus sans prévenir. Et cela a commencé à faire des ravages dans ma tête. Je me réveille en sursaut la nuit, je panique, j'étouffe. Toutes les horreurs que j'ai vécues en Algérie surgissent en bloc. Un docteur m'a conseillé, lors de ces crises de spasmophilie, de prendre un sac en plastique et de respirer par la bouche. Depuis, j'ai appris à maîtriser mon corps et mon esprit.
J'avais alors 35 ans. Je m'étais engagé dans l'armée, dix ans auparavant, pour servir mon pays. Pendant la guerre civile, j'ai assisté à des choses atroces. Et puis il y a eu cette « embuscade ». Une nuit, nos chefs nous ont dit de partir dans la montagne. C'était en fait une mission sans retour. Ils voulaient nous liquider car on commençait à se poser des questions sur les « missions » que l'Armée nous confiait. Ils auraient fait croire que c'était le GIA (Groupe Islamique Armé). Sur 50 hommes, il n'y a eu que treize rescapés. J'ai reçu une balle dans le pied. J'ai marché longtemps avant d'être recueilli par une famille. Ils ont appelé un médecin. Comme je ne voulais pas aller à l'hôpital, il m'a extrait la balle sans anesthésie. Mais je perdais trop de sang, alors ils m'ont donné des vêtements civils et conduit aux Urgences. Je n'y suis resté que deux jours puis je me suis enfui. J'ai été porté disparu. Mon frère m'a aidé à m'embarquer pour la France. J’ai obtenu mon visa avec une facilité qui m’étonne encore. Je n'ai même pas eu à changer mon nom. Je ne suis pas resté à Marseille, trop semblable à Alger. Je ne désirais qu'une seule chose, rencontrer de nouvelles têtes, bouger, tourner la page…
En France, j'ai continué à voyager. Je m'arrête quand j'ai le coup de cœur, je dors chez les gens. Entre-temps, cela m'est tombé dessus sans prévenir. Et cela a commencé à faire des ravages dans ma tête. Je me réveille en sursaut la nuit, je panique, j'étouffe. Toutes les horreurs que j'ai vécues en Algérie surgissent en bloc. Un docteur m'a conseillé, lors de ces crises de spasmophilie, de prendre un sac en plastique et de respirer par la bouche. Depuis, j'ai appris à maîtriser mon corps et mon esprit.
José O.(France)
« J’aime regarder Paris en levant la tête. Mais c’est encore beaucoup plus beau depuis les toits. Je connais tous les toits, ceux du Louvre, du Sénat, des Invalides.... J’étais charpentier-couvreur (j’ai fait le Tour de France), chef de chantier en intérim. Toujours le premier arrivé, le dernier reparti.
C’est en ponçant les ornements en plomb du Louvre que j’ai attrapé le saturnisme. Quinze jours d’hôpital. Quand je suis revenu sur le chantier, nos combinaisons avaient été remplacées par des équipements de cosmonaute. Le métier, je suis né dedans. Je l’ai appris auprès d’un beau-frère patron couvreur à Calais. J’y ai passé une partie de ma jeunesse. Je me suis marié à 17 ans et demis avec une fille de là-bas un peu plus âgée que moi. C’était en fait pour échapper à mon dragon de mère. Quand j’étais petit, elle passait son temps à me taper avec un tisonnier. J’étais le septième enfant, celui qui payait pour les autres.
Quand ma femme est morte dans un accident de voiture, je me suis engagé dans la Légion étrangère. Après la Légion (je suis revenu avec le grade de lieutenant tout de même !), j’ai passé mon CAP de charpentier-couvreur puis je suis monté à Paris. C’est là que j’ai rencontré ma seconde femme. Elle avait cinq enfants. Elle aussi est décédée dans un accident de voiture. Elle venait juste d’avoir son permis. Elle est morte sur le coup avec tous les enfants. Après sa disparition, je n’avais plus le cœur à monter sur les toits. J’ai vendu l’appartement et la maison de campagne. Puis j’ai voyagé. Un jour, en descendant d’un train, je suis tombé sur les genoux. Je n’ai souffert qu’à partir du lendemain. Je n’ai pas été opéré, je n’ai même pas été plâtré. On m’avait dit que cela se remettrait tout seul. Depuis, je me déplace en fauteuil roulant.
Quand je n’ai plus eu d’argent, je me suis retrouvé à la rue. J’y suis resté pendant quatre ans. C’est difficile mais je me débrouillais. Et sans faire la manche ! Je dormais sur le banc d’un abri-bus. Par terre, je n’aurais pas pu me relever à cause de ma jambe. Je n’ai jamais eu froid : j’avais un duvet de l’armée et un gros blouson. Tous les jours, une dame me faisait la causette et m’apportait le journal que je lisais un peu plus loin sur un banc, quand il faisait beau. »
C’est en ponçant les ornements en plomb du Louvre que j’ai attrapé le saturnisme. Quinze jours d’hôpital. Quand je suis revenu sur le chantier, nos combinaisons avaient été remplacées par des équipements de cosmonaute. Le métier, je suis né dedans. Je l’ai appris auprès d’un beau-frère patron couvreur à Calais. J’y ai passé une partie de ma jeunesse. Je me suis marié à 17 ans et demis avec une fille de là-bas un peu plus âgée que moi. C’était en fait pour échapper à mon dragon de mère. Quand j’étais petit, elle passait son temps à me taper avec un tisonnier. J’étais le septième enfant, celui qui payait pour les autres.
Quand ma femme est morte dans un accident de voiture, je me suis engagé dans la Légion étrangère. Après la Légion (je suis revenu avec le grade de lieutenant tout de même !), j’ai passé mon CAP de charpentier-couvreur puis je suis monté à Paris. C’est là que j’ai rencontré ma seconde femme. Elle avait cinq enfants. Elle aussi est décédée dans un accident de voiture. Elle venait juste d’avoir son permis. Elle est morte sur le coup avec tous les enfants. Après sa disparition, je n’avais plus le cœur à monter sur les toits. J’ai vendu l’appartement et la maison de campagne. Puis j’ai voyagé. Un jour, en descendant d’un train, je suis tombé sur les genoux. Je n’ai souffert qu’à partir du lendemain. Je n’ai pas été opéré, je n’ai même pas été plâtré. On m’avait dit que cela se remettrait tout seul. Depuis, je me déplace en fauteuil roulant.
Quand je n’ai plus eu d’argent, je me suis retrouvé à la rue. J’y suis resté pendant quatre ans. C’est difficile mais je me débrouillais. Et sans faire la manche ! Je dormais sur le banc d’un abri-bus. Par terre, je n’aurais pas pu me relever à cause de ma jambe. Je n’ai jamais eu froid : j’avais un duvet de l’armée et un gros blouson. Tous les jours, une dame me faisait la causette et m’apportait le journal que je lisais un peu plus loin sur un banc, quand il faisait beau. »
Naser D.(Tunisie)
« Ma vie, c'est ma vie ! Je la garde pour moi ! Je n'ai aucune raison de vous la raconter ! Tout ce que je peux vous dire, c'est que cela va bientôt faire vingt ans que j'attends mes papiers ! Depuis 1998, j'ai déposé trois demandes. La première a été rejetée et je devais quitter le territoire. J'ai fait un recours et déposé, un an après, une seconde demande. Entre-temps, mon dossier a apparement été égaré. Ensuite, on m'a fait savoir que j'étais non expulsable ! Mais que puis-je faire avec ce « papier » ? Certainement pas travailler ! Je suis plombier chauffagiste OHQ. C'est mon métier depuis toujours. C'est celui que je pratiquais à Sfax avant de partir.
Mon arrivée en France relève du gag ! Un jour, mon beau-frère m'a proposé de m'embarquer gratis sur un bateau, avec quelques autres « clandestins », pour la Sicile. Et, de là, rejoindre l'Italie. À Rome, j'avais prévu y passer une semaine. Une semaine de vacances ! Puis retour en avion pour la Tunisie. Mais arrivé à Rome, mon grand frère qui habite Paris m'a demandé de passer le voir. Je ne pouvais pas décliner l'invitation. Paris, c'est la France ! Liberté, Égalité, Fraternité (rires). Il ne faut y rester trop longtemps sinon on y prend goût et on ne peut plus en repartir ! C'est ce qu'il m'est arrivé. Les cinq premières années se sont passées comme dans un rêve. Un oncle (j'ai beaucoup de famille) m'avait dit qu'en France, il fallait se nourrir de pain et d'eau sucrée. C'est une mentalité de vieux ! Pour moi, la France, c'était la belle vie. Liberté, Égalité, Fraternité ! En plus, j'étais tombé amoureux d'une fille. On devait se marier et puis... Au dernier moment, cela ne s'est pas fait. C'est alors que je me suis rendu compte que j'étais sans papier. Jusqu'à présent, cela ne m'avait jamais posé de problème. Si tu mènes une vie respectable en France, on te respecte. Je n'ai jamais été arrêté. Je n'ai jamais fait de prison. Je n'ai même jamais resquillé dans le métro ! J'avais un travail, un appartement. Et puis, un jour, je me suis retrouvé dans la rue, plus exactement dans un jardin.
Je n'y suis pas resté très longtemps. Juste le temps d'en faire l'expérience ! J'aurais pu demander à ma famille de m'héberger. Mais cela ne se fait pas ! Chacun pour soi et Dieu pour tous, comme on dit chez nous et ici ! C'est un passage de même que mon séjour dans ce refuge.
Je vais régulièrement me renseigner à la Préfecture voir où en est la progression de mon dossier qui, avec le temps, est devenu de plus en plus épais. La dernière fois que j'y suis allé, ils n'ont pas voulu me recevoir. Ils m'ont dit que j'étais bourré ! J'avais effectivement bu quelques verres mais je n'étais pas saoul. Je savais ce que je faisais ! Comment je vois mon avenir ? Faire comme tout le monde ! Avoir ma voiture, vivre dans mon HLM... (rires) Ma vie est en France ! "
Mon arrivée en France relève du gag ! Un jour, mon beau-frère m'a proposé de m'embarquer gratis sur un bateau, avec quelques autres « clandestins », pour la Sicile. Et, de là, rejoindre l'Italie. À Rome, j'avais prévu y passer une semaine. Une semaine de vacances ! Puis retour en avion pour la Tunisie. Mais arrivé à Rome, mon grand frère qui habite Paris m'a demandé de passer le voir. Je ne pouvais pas décliner l'invitation. Paris, c'est la France ! Liberté, Égalité, Fraternité (rires). Il ne faut y rester trop longtemps sinon on y prend goût et on ne peut plus en repartir ! C'est ce qu'il m'est arrivé. Les cinq premières années se sont passées comme dans un rêve. Un oncle (j'ai beaucoup de famille) m'avait dit qu'en France, il fallait se nourrir de pain et d'eau sucrée. C'est une mentalité de vieux ! Pour moi, la France, c'était la belle vie. Liberté, Égalité, Fraternité ! En plus, j'étais tombé amoureux d'une fille. On devait se marier et puis... Au dernier moment, cela ne s'est pas fait. C'est alors que je me suis rendu compte que j'étais sans papier. Jusqu'à présent, cela ne m'avait jamais posé de problème. Si tu mènes une vie respectable en France, on te respecte. Je n'ai jamais été arrêté. Je n'ai jamais fait de prison. Je n'ai même jamais resquillé dans le métro ! J'avais un travail, un appartement. Et puis, un jour, je me suis retrouvé dans la rue, plus exactement dans un jardin.
Je n'y suis pas resté très longtemps. Juste le temps d'en faire l'expérience ! J'aurais pu demander à ma famille de m'héberger. Mais cela ne se fait pas ! Chacun pour soi et Dieu pour tous, comme on dit chez nous et ici ! C'est un passage de même que mon séjour dans ce refuge.
Je vais régulièrement me renseigner à la Préfecture voir où en est la progression de mon dossier qui, avec le temps, est devenu de plus en plus épais. La dernière fois que j'y suis allé, ils n'ont pas voulu me recevoir. Ils m'ont dit que j'étais bourré ! J'avais effectivement bu quelques verres mais je n'étais pas saoul. Je savais ce que je faisais ! Comment je vois mon avenir ? Faire comme tout le monde ! Avoir ma voiture, vivre dans mon HLM... (rires) Ma vie est en France ! "
Hacène A.E. (Algérie)
Ahmed A. EL D. (Egypte)
Charles Mathieu B.(Sénégal)
"Je porte le nom d'une fleur, la badiane. C'est ici que je l’ai appris. J'ai 56 ans. On me dit souvent que je ne les fais pas. Je marche beaucoup, je vais à la piscine. Je me maintiens. Il y a 15 ans, je suis parti de Dakar. Je travaillais à mi-temps chez Marlboro mais ce que je gagnais ne suffisait pas à faire vivre ma famille.
Mes premiers jours –et les suivants- en France sont restés inscrits dans ma tête. Je ne les oublierai jamais. Avant la vie s’écoulait sans que je me souvienne de mes journées ! Ici, j’ai tout de suite été confronté au problème de l'hébergement. Il faut des papiers pour avoir un logement. Je n’avais pas compris que, sans ces documents, tu n’es pas réellement arrivé en France. Tu es à la bordure. Sans papiers, tu ne peux rien faire. C’est comme vivre avec un handicap. Tu ne peux pas discuter avec des amis. Tu ne peux pas aborder une femme sans qu’elle imagine aussitôt que tu veux l’épouser pour avoir tes papiers. On m'a dit qu'il fallait dix ans pour les avoir. Dix ans de présence sans interruption sur le territoire français !
Comment fais-tu pour vivre tout ce temps-là ? J'ai pris tous les travaux que je trouvais : égoutier, manutentionnaire... J'étais tellement découragé que je ne gardais plus aucune preuve. Puis je suis tombé gravement malade. Je suis resté un an à l'hôpital à Épinay. C'est là que j'ai rencontré une personne d'une bonté extraordinaire. Elle était assistante sociale. Il suffisait qu’elle te parle pour que tu te sentes bien, plus léger, plus limpide. Elle a suivi tous mes transferts : Lariboisière, l'Hôtel-Dieu, Val-de-Grâce… Grâce à cette assistante sociale, j'ai pu avoir une chambre individuelle dans les nouveaux bâtiments de la Mie de pain.
À partir de ce moment-là, je me suis remis à conserver les justificatifs de mon séjour comme les Pass Navigo. J'ai acheté une petite guitare. J’ai appris à jouer dans les livres. Je peux passer des heures à écouter de la musique, du jazz, de la salsa, du mbalakh... Miles Davis, Youssou N’Dour, Pape Diouf, Omar Penn… Je vais aussi souvent dans les bibliothèques. Ces endroits-là m'apaisent. "
Mes premiers jours –et les suivants- en France sont restés inscrits dans ma tête. Je ne les oublierai jamais. Avant la vie s’écoulait sans que je me souvienne de mes journées ! Ici, j’ai tout de suite été confronté au problème de l'hébergement. Il faut des papiers pour avoir un logement. Je n’avais pas compris que, sans ces documents, tu n’es pas réellement arrivé en France. Tu es à la bordure. Sans papiers, tu ne peux rien faire. C’est comme vivre avec un handicap. Tu ne peux pas discuter avec des amis. Tu ne peux pas aborder une femme sans qu’elle imagine aussitôt que tu veux l’épouser pour avoir tes papiers. On m'a dit qu'il fallait dix ans pour les avoir. Dix ans de présence sans interruption sur le territoire français !
Comment fais-tu pour vivre tout ce temps-là ? J'ai pris tous les travaux que je trouvais : égoutier, manutentionnaire... J'étais tellement découragé que je ne gardais plus aucune preuve. Puis je suis tombé gravement malade. Je suis resté un an à l'hôpital à Épinay. C'est là que j'ai rencontré une personne d'une bonté extraordinaire. Elle était assistante sociale. Il suffisait qu’elle te parle pour que tu te sentes bien, plus léger, plus limpide. Elle a suivi tous mes transferts : Lariboisière, l'Hôtel-Dieu, Val-de-Grâce… Grâce à cette assistante sociale, j'ai pu avoir une chambre individuelle dans les nouveaux bâtiments de la Mie de pain.
À partir de ce moment-là, je me suis remis à conserver les justificatifs de mon séjour comme les Pass Navigo. J'ai acheté une petite guitare. J’ai appris à jouer dans les livres. Je peux passer des heures à écouter de la musique, du jazz, de la salsa, du mbalakh... Miles Davis, Youssou N’Dour, Pape Diouf, Omar Penn… Je vais aussi souvent dans les bibliothèques. Ces endroits-là m'apaisent. "
Mitko M. (Turkey)
Yacine B. (Algérie)
"C’était l’été. J’étais avec des amis au bord de la mer. On nageait, on plongeait. Moi, j’ai mal plongé. En bas m’attendaient des rochers. Les médecins ont fait ce qu’ils ont pu mais ils n’ont pas pu sauver mes jambes. Je n’ai pas pu retrouver non plus ma vie d’avant ni mes rêves. Ma vie dès lors consistait à rester devant la porte de ma maison, faire des petits tours dans le quartier avant de revenir m’enfermer chez moi. En Algérie, les handicapés ne font plus partie de la société. Tous mes projets se sont envolés. Comme ouvrir un restaurant (je sais cuisiner) ou partir avec un ami en Angleterre.
Ce n’est pas génial de rester à la même place quand on est jeune !
Un médecin m’a dit qu’en France, les handicapés avaient la vie devant eux. En France, se trouve une bonne partie de ma famille. Mon père y est né avant de revenir s’installer en Kabylie, mon grand-père est venu en France quand l’Algérie était encore française, il a passé toute sa vie chez Renault. Il a pris sa retraite près de Tizi-Ouzou. Mon arrière-grand-père maternel a fait la première guerre mondiale en France. Il est revenu en Algérie mais il a eu le temps de voyager avant. Une grande partie de ma famille vit en France. Mais lorsque cette famille a vu arriver l’handicapé avec son fauteuil roulant, elle n’a pas voulu se charger d’un poids supplémentaire. Chacun court derrière sa vie ou quelque chose, je ne sais pas. J’ai galéré. Mais le conseil du docteur était juste. Une personne dans ma situation peut espérer, en France, faire quelque chose de sa vie. J’ai de nouveau des rêves d’avenir. Il me reste tellement de choses à faire même si physiquement je ne suis pas totalement intact. J’ai choisi d’avancer."
Ce n’est pas génial de rester à la même place quand on est jeune !
Un médecin m’a dit qu’en France, les handicapés avaient la vie devant eux. En France, se trouve une bonne partie de ma famille. Mon père y est né avant de revenir s’installer en Kabylie, mon grand-père est venu en France quand l’Algérie était encore française, il a passé toute sa vie chez Renault. Il a pris sa retraite près de Tizi-Ouzou. Mon arrière-grand-père maternel a fait la première guerre mondiale en France. Il est revenu en Algérie mais il a eu le temps de voyager avant. Une grande partie de ma famille vit en France. Mais lorsque cette famille a vu arriver l’handicapé avec son fauteuil roulant, elle n’a pas voulu se charger d’un poids supplémentaire. Chacun court derrière sa vie ou quelque chose, je ne sais pas. J’ai galéré. Mais le conseil du docteur était juste. Une personne dans ma situation peut espérer, en France, faire quelque chose de sa vie. J’ai de nouveau des rêves d’avenir. Il me reste tellement de choses à faire même si physiquement je ne suis pas totalement intact. J’ai choisi d’avancer."
Abdul K.A.K. .jpg
bottom of page